L'archéologie ferroviaire.
Qu'est-ce que l'archéologie ferroviaire ? C'est tout ce qui se rapporte à la recherche des anciennes lignes ferroviaires abandonnées ou disparues, à leurs installations et au matériel qui y a circulé. L'association de ces deux mots est maintenant entrée dans les usages. Il y a quelques années, l'archéologie ferroviaire était une sous-branche de l'archéologie industrielle, mais de nombreux ouvrages, des revues spécialisées et les recherches très nombreuses d'amateurs passionnés ont donné son "indépendance" à cette discipline.
En effet notre pays a été pourvu à une époque, principalement dans les trente premières années du siècle dernier, d'un maillage très serré de voies ferrées qui devait atteindre le moindre chef-lieu de canton. Après la crise économique des années trente, la nationalisation, l'augmentation des salaires, avec une accélération dans les années cinquante, la quasi totalité des lignes d'intérêt local et un grand nombre de lignes ou portions de lignes du réseau national ont été fermées, abandonnées et quelquefois promptement déferrées, les bâtiments étant vendus à des particuliers. Donc certains vestiges ont plus de 70 ans.
Je vous livre donc mon expérience d'archéologue ferroviaire et vous invite à partager mes "recettes".
1) Qualités quasiment indispensables à possèder :
Etre tout d'abord ferroviphile ou mieux ferrovipathe ! Avoir l'oeil. Reconnaître donc dans une maison rénovée une ancienne gare, dans un talus un ancien remblai ou dans un chemin au tracé bien régulier une ancienne voie ferrée (j'illustrerai au fur et à mesure).
Maîtriser l'informatique et internet
(pouvoir y publier ses recherches). Des outils performants y sont
accessibles : Google maps ou Géoportail (de l'IGN) avec,
respectivement leurs photos satellitaires ou aériennes, les vues
de la "Google car" qui permttent d'aller sur le terrain sans se
déplacer (!!!), sans oublier les cartes cadastrales de Géoportail.
2) Matériel nécessaire :
un véhicule (vélo tout terrain ou automobile) mais aussi de bonnes jambes; un ordinateur relié à internet; des cartes récentes et anciennes; une abondante littérature (livres, revues...) ferroviaire; recherches dans les archives (des mairies, départementales, nationales, des journaux..).
3) Contacts humains :
L'archéologie ferroviaire permet encore de retrouver des témoins de l'époque où le chemin de fer étudié fonctionnait encore : à rechercher.
Je vais développer ces points :
Heureusement, nos grands-parents étaient économes et ont standardisé l'architecture des bâtiments qu'ils faisaient construire : tout au long d'une même ligne, on ne trouve que deux ou trois types de gare et des plans type de gare ont du être diffusé par les ministères des transports de l'époque car on retourve souvent dans des régions différentes le même type de gare. Donc, même en ruine ou bien modernisée, un oeil exercé doit reconnaitre une gare ou la maisonnette d'un passage à niveau..
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Gare de Messanges (40) qui menace
ruine.
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Gare de Tosse(40) agrandie.
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Certaines lignes ont été fermées et/ou déferrées depuis plus de 70 ans, le tracé devient plus difficile à retrouver car l'ancienne plate-forme abandonnée a été depuis revendue aux collectivités locales qui les ont souvent cédée à des particuliers (agriculteurs le plus souvent); ou plus délicat, la collectivité s'en est servi pour élargir une route. (cas particulier des voies d'intérêt local sur route ou accotement). Il faut donc rechercher les ouvrages d'art si on a la chance de faire des recherches dans une région acidentée : remblai, tranchée, ponts, murs de souténement, ou tunnel.
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Cet accotement est trop large
ou le chemin trop étroit : la voie était sur l'accotement
droit. (Castelsagrat 82)
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Ce chemin est trop bien tracé
(courbe et profil) pour un chemin de terre.
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Reste d'un pont : on voit le remblai
de gauche. (Lacour de Visa 82)
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Tranchée et tunnel (Castelsagrat
82)
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Si on ne connait pas précisément le tracé, on peut pour retrouver un ancien passage à niveau, se servir de ce que j'appelle le "syndrome des Ponts et Chaussées" (ou de l'Equipement). En effet, ces services dont le principal souci est leconfort des automobilistes (et c'est tout à leur honneur) recouvrent de goudron un passage à niveau dès qu'il est inutilisé; quand il faut déferrer la voie, on ne peut plus enlever les rails sous la route, on laisse donc ce coupon avec le rail et le contre-rail qui dépassent très souvent sur les bas-côtés de la route; il suffit donc de gratter et on retrouve les rails et ainsi la preuve de l'existence ancienne d'une voie ferrée. Voici deux exemples qui ne sont sûrement pas isolés :
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J'ai trouvé deux anciens
PN de cette manière à Linxe (40) en une après-midi
sur l'ancienne ligne des VFL St Girons-Tartas : on distingue très
bien les rails et contre-rails
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Sur la ligne Digoin-Etang non
loin de Toulon sur Artroux (71), on discerne bien sous le goudron les
rails et contre-rails d'une voie métrique. Un rail affleure sur
le bas-côté opposé. (Photo P. Léraillé)
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Si on ne sait pas où trouver ces vestiges (on ne connait pas bien la région), l'utilisation de cartes est fortement recommandée; des cartes anciennes datant de l'époque où la ligne étatit encore en service sont très utiles pour visualiser le tracé. mais à défaut une carte IGN classique peut rendre de grands services; je ne savais pas du tout où était le tunnel de Castelsagrat (82), une carte IGN me l'a signalé. On peut aussi découvrir sur ces cartes très précises des talus ou remblais qui sont révélateurs de l'existence ancienne d'une voie ferrée.
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Le tunnel de castelsagrat sur
une carte IGN actuelle. On distingue bien la tranchée à
l'entrée du tunnel côté gare.
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La voie des VFL faisait une boucle
curieuse à Soustons; je ne l'avais pas vu sur le terrain car elle
est déferrée depuis trente ans; mais cette carte Michelin
de 1972 en porte encore la trace.
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Les témoignages de la population ne sont pas à négliger : les personnes âgées en particulier. Nos anciens ne rechignent jamais à fouiller dans leurs souvenirs et à raconter leur histoire : attention de vérifier et de recouper ! Dans ma région, des personnes qui ont pourtant connu le tramway à vapeur Valence d'Agen - Montaigu, confondent le tracé de sa voie avec la ligne "avortée" Moissac-Cahors. Pourtant ces deux lignes ne se sont jamais côtoyées. Dans les petites villes, le nom des rues ou des places peut vous aider, on voit encore des "rue de la Gare" alors qu'elle n'existe plus ou qu'elle n'est plus en service : à Léon, il y a toujours l'impasse de la gare.
Si dans la région, on trouve des traverses en grand nombre qui ont été recyclées à d'autres utilisations, il y a fort à parier qu'une ligne a été déferrée dans les parages : les aménagements du parking de la plage de St Girons (40) sont entiérement faits avec des traverses de récupération.(photo à venir)
Un ordinateur relié à Internet naturellement cela va de soi. C'est l'outil indispensable pour effectuer des recherches : attention recouper aussi certaines informations car elles sont quelquefois le fait d'amateurs qui peuvent se tromper. Un ordinateur relié à Internet pour aussi échanger les résultats de vos recherches : je citerai un forum d'échange de photos et d'informations sur news.zoo-logique.org : chemin-de-fer.secondaires.presents.passes. Mais ces échanges sont éphémères : il est intéressant de mettre en forme le fruit de vos recherches sur un site personnel. J'y vois plusieurs avantages : tout d'abord la satisfaction d'être publié à moindre coût, être publié même si votre travail de recherche n'est pas terminé car l'avantage est que ce travail sur Internet est toujours amendable. Enfin les retours : des passionés comme vous vont vous découvrir et vous lire et prendront contact avec vous : pour simplement vous féliciter, ce qui est gratifiant, vous corriger sur une erreur, ce qui est intéressant, ou mieux encore vous apporter des informations qui vous manquent. J'ai ainsi des nombreux correspondants avec qui nous échangeons photos, "tuyaux" divers.
28/12/12
Quand
j'ai écrit ces lignes, il y a plus de six ans, deux outils très utiles
à l'archéologue ferroviaire n'étaient pas à sa disposition :
Géoportail, le site de l'Institut géographique national et toutes ses
cartes et vues aériennes à disposition et , Google Maps et son
dispositif Street View qui permet des vues à distance de très nombreux
sites. C'est ainsi que dans mes pages sur les gares des Landes et du
Tarn et Garonne , j'ai intégré ces vues Street View ; ainsi celui qui
grâce à ces pages recherhe les traces de lignes disparues aura des
outils à sa disposition.
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Deux cartes postales que j'ai
obtenues auprès d'un collectionneur.
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Il ne faut pas non plus hésiter à aller fouiller dans les collections de cartes postales des brocantes et foires. Pour ma part, j'ai la chance d'avoir dans mes connaissances des collectionneurs de cartes postales et documents anciens... Les recherches dans les archives n'est pas à négliger ... Il existe aussi dans chaque ville ou village au moins un "érudit" qui met un point d'honneur à connaître le passé de sa ville ou de son village : des personnes-ressources à ne pas oublier d'approcher.
Septembre 2019.
Le triangle de Gasseras ICI et ICI.
J'avais
lu dans les petits trains de jadis de Domengie qu'il existait à
Gasseras dans la banlieue de Montauban, un triangle permettant aux
tramways à vapeur de manouevrer entre deux lignes. Je m'étais rendu sur
place en 2004 : j'avais trouvé la plate-forme de la ligne de Lexos et le pont franchissant le Tarn
mais aucun autre vestige d'une installation ferroviaire qui devait être
assez conséquante. J'ai eu l'explication cette année : j'ai découvert
grâce à des photos d'époque et des cartes anciennes, que la route de
Meauzac qui s'embranche sur la route Montauban-Castelsarrasin a été
déplacée après la fermeture des lignes du tramway et a pris la place de
ce fameux triangle. Les seules traces restantes de ce triangle sont sur
le cadastre !